Les dossiers nationaux et locaux  
 

 

   
Résumé du rapport présenté le mardi 23 juin devant la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale

Rapport de mission d’information "Afghanistan et équilibre géopolitique régional"

 

« Afghanistan : un chemin pour la paix »

La commission des affaires étrangères a nommé, en octobre 2008, MM. Jean Glavany et Henri Plagnol pour mener une mission d’information sur l’environnement géopolitique de l’Afghanistan. Après plusieurs mois de travaux, des déplacements en Afghanistan à deux reprises, mais aussi en Inde, au Pakistan et en Iran, les deux Députés ont soumis hier la publication de leur rapport à l’approbation de la Commission des affaires étrangères, qui l’a autorisée. La première conclusion à laquelle la mission était parvenue dans les premiers temps de son activité est aujourd’hui partagée par tous : le conflit en Afghanistan ne peut être compris qu’en lien avec l’évolution du Pakistan, d’où l’insurrection tire ses ressources idéologiques et logistiques. La multiplication récente des articles de presse et des travaux universitaires montre bien l’intérêt accru, dont il faut se réjouir, que suscitent les liens évidents entre les deux pays. Tenant compte de cette réalité, la mission s’est efforcée de tracer un chemin pour la paix dans la région. Elle a accompagné son analyse de 25 propositions, précises et concrètes, pour faciliter la conduite d’une nouvelle stratégie en Afghanistan et au Pakistan. Ces propositions sont retracées à la fin du rapport.

Sur le plan militaire :

L’histoire de l’intervention en Afghanistan est celle d’un consensus progressivement détérioré, qu’il nous faut reconstruire. Initialement, tous les Etats de la coalition ont apporté leur aide aux Etats-Unis, victimes d’attaques terroristes sur leur propre sol. Ce consensus initial a permis d’infliger une défaite indiscutable au régime taliban. Toutefois, la persistance d’un mouvement de résistance, se livrant à des opérations de guérilla meurtrières à défaut de pouvoir reprendre le pouvoir, a peu à peu usé les forces présentes sur le terrain. Face à des opinions de moins en moins convaincues de la nécessité d’une opération militaire en Afghanistan, craignant un enlisement dans un conflit interminable, la coalition n’a pas su proposer de stratégie claire, permettant d’affirmer les objectifs de sa présence. Le consensus a alors été rompu, notamment en France, comme l’a montré le vote du 22 septembre 2008 lors duquel plusieurs Députés ont manifesté leurs doutes quant au maintien de troupes françaises en Afghanistan Il est indispensable que le consensus initial soit rétabli, autour d’objectifs précis : lutter contre le terrorisme, doter l’Afghanistan de forces de sécurité autonomes capables de tenir le terrain, assurer un environnement suffisamment stable pour permettre le développement du pays. Les forces internationales doivent instaurer un rapport de forces favorable à la reconstruction du pays. Il faut convaincre l’opinion afghane, et celle des Etats de la coalition, de la pertinence de cette stratégie, qui est le passage obligé d’un chemin pour la paix. Sur l’avenir politique de l’Afghanistan : L’Afghanistan est situé à la frontière de tous les grands Empires asiatiques. Cette situation conduit chaque pays limitrophe à être intéressé au règlement de la situation. La stabilité de l’Afghanistan passe donc par l’organisation d’une conférence internationale qui garantisse le statut de neutralité du pays. Au plan intérieur, l’échéance présidentielle du 20 août constitue évidemment le défi majeur auquel les institutions afghanes, et la communauté internationale, doivent faire face. La coalition n’a pas vocation à soutenir tel ou tel candidat à l’élection présidentielle. En revanche, il est clair que les forces coalisées devront aider les forces de sécurité afghanes à garantir la sécurité des opérations électorales sur le territoire. La tenue de cette élection dans des conditions aussi transparentes et loyales que possible sera un test majeur. Si les taliban parviennent à l’empêcher, ils démontreront à la fois l’inefficacité de l’intervention internationale, et priveront de légitimité les autorités centrales du pays. A plus long terme se pose la question d’une éventuelle négociation avec les taliban. Il est impropre de parler de « taliban modérés », catégorie qui ne correspond pas à la réalité du mouvement taliban. Toutefois, il est clair que seuls ceux qui accepteront l’existence d’un régime constitutionnel et les bases du régime démocratique pourront être inclus dans un processus de réconciliation nationale. L’entretien que les membres de la mission ont eu avec deux anciens responsables gouvernementaux taliban, respectivement ministres des affaires étrangères et des transports, a laissé entrevoir quelques sujets de dialogue, sans pouvoir parler, pour le moment, d’une possible négociation. Au-delà des conditions strictement institutionnelles, un certain nombre de garanties relatives aux droits de l’homme doivent être apportées avant que le retrait des troupes internationales puisse être envisagé. Il serait vain d’imaginer pouvoir imposer à la société afghane, très traditionnelle, des standards occidentaux trop avancés. Cependant, il n’est pas question de reculer sur quelques points essentiels, comme les droits des femmes, et notamment l’accès des jeunes filles à l’éducation.

Sur l’aide au développement :

A la chute des taliban, l’Afghanistan s’est vu confronté à une situation économique et sociale particulièrement dégradée. La quasi-totalité des infrastructures vitales, en grande partie détruites lors de la guerre contre l’Union soviétique, n’a été que très partiellement reconstruite par le gouvernement fondamentaliste. Les besoins dans tous les domaines sont donc immenses. Parallèlement à l’action militaire engagée par l’OTAN, un effort significatif a ainsi été fourni en matière d’aide au développement. Plusieurs dizaines de milliards ont été promis par les principaux donateurs mondiaux, au premier rang desquels les Etats-Unis et le Royaume-Uni, mais également l’Allemagne et l’Union européenne. Ces promesses n’ont pas été tenues, en raison, principalement, des carences de l’Etat afghan, trop largement corrompu et incapable de se doter des compétences nécessaires à la conduite des projets financés par l’aide internationale. Une nouvelle stratégie doit donc être adoptée. L’aide doit permettre l’émergence d’un appareil étatique afghan capable de prendre en main le développement du pays. L’idée d’une approche intégrée de l’aide, permettant simultanément de renforcer la sécurité, améliorer la gouvernance et aider au développement économique, est aujourd’hui partagée par tous les acteurs internationaux présents sur le terrain. Cette action passe par une amélioration de l’efficacité de l’aide, notamment européenne, et une augmentation des montants effectivement engagés. Le rapport contient plusieurs propositions dans ces domaines. La France a un rôle particulier à jouer dans le domaine du développement agricole, crucial pour faire reculer la culture du pavot et réduire d’autant les ressources de l’insurrection et des divers réseaux criminels de la région. Pourtant, notre aide en faveur de l’Afghanistan reste d’un montant particulièrement faible - notre pays se classe parmi les derniers Etats membres européens, ce que l’importance de notre effort militaire ne peut expliquer totalement. Il est heureux que la force de conviction de Pierre Lellouche, représentant spécial pour l’Afghanistan et le Pakistan ait permis d’accroître l’effort français en Afghanistan, mais cette évolution doit être amplifiée, que le poste de représentant spécial de la France pour la région soit maintenu ou non. Sur les liens entre l’Afghanistan, l’Inde et le Pakistan Le conflit afghan est incompréhensible si on ne le place pas dans son contexte régional. L’obsession du Pakistan est que l’Afghanistan soit son axe de profondeur stratégique au Nord, alors qu’il subit sur sa frontière Nord-Ouest la pression de l’armée indienne, et que le conflit du Cachemire n’est pas réglé. De son côté, l’Inde considère l’Afghanistan comme une voie vers l’Iran et a toujours souhaité exercer une influence sur Kaboul, qu’Islamabad voit avec inquiétude. Tant qu’il n’y aura pas apaisement de la tension entre les deux pays, la crise afghane risque de continuer. Même s’il existe de puissants facteurs de paix entre les deux pays, les attentats de l’Assam et de Bombay, montrent que des groupes ont intérêt au maintien de la tension. L’armée pakistanaise, qui occupe une place centrale dans l’échiquier politique et économique du pays, est sans doute la grande gagnante de la résurgence de la tension entre l’Inde et le Pakistan, en décembre 2008. Le mouvement taliban a été créé par le Pakistan, avec l’appui des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite sous la guerre froide, pour combattre les soviétiques. Il continue d’être soutenu discrètement par l’armée et les services secrets pakistanais, malgré leurs dénégations officielles. Le gouvernement d’Islamabad est également au cœur d’une contradiction : forcé par les Etats-Unis à combattre ses alliés taliban, il se trouve aujourd’hui contraint de mener une guerre civile, très dure comme en témoignent les combats passés dans le Waziristan, et plus récemment à Swat, et voit certains mouvements autrefois alliés prendre leur autonomie politique. Le Nord Ouest du Pakistan apparaît donc comme une superposition de conflits : entre la FIAS et les taliban, lorsque des drones effectuent des bombardements, entre l’armée pakistanaise et des insurgés pachtounes, et au sein même des tribus. Al Qaida, présente au Sud du Waziristan, joue un rôle résiduel dans ces combats, mais conserve des bases d’entraînement dans la région ainsi que plus au Sud, dans la région du Baloutchistan. Ces troubles prennent place alors que le Pakistan traverse une crise sociale, économique et identitaire très profonde et le risque de déstabilisation du pays est réel, même si nous montrons dans notre rapport que la société pakistanaise a les moyens de retrouver la paix par elle-même. L’importance de la question pakistanaise est à l’origine de l’approche régionale, aujourd’hui partagée par les principaux acteurs du conflit, comme en témoigne la nomination de plusieurs représentants spéciaux pour la région. Pour les Etats-Unis, la stabilisation du Pakistan, puissance nucléaire et allié traditionnel dans la région est primordiale. Mais du fait du rapprochement avec l’Inde mis en œuvre par George Bush, cette stabilisation s’avère plus complexe que prévue, et toute action américaine est analysée avec méfiance par le Pakistan. Du côté américain, nous avons constaté que le principal débat qui agitait les milieux politiques était la conditionnalité de l’aide américaine au Pakistan. La confiance entre ces deux pays est désormais largement altérée. La France, de son côté, considère également qu’il faut stabiliser le Pakistan. L’approche globale préconisée par la FIAS, consistant à éradiquer la violence en Afghanistan comme au Pakistan et à accompagner le développement économique de ces deux pays, nécessite l’appui de leurs voisins. Il semble que la FIAS puisse compter sur l’appui russe et chinois. Il n’est pas sûr en revanche que l’Inde soit un partenaire commode dans la recherche de la paix. La question du Cachemire demeure en suspens, et l’Inde rejette toute médiation sur ce qu’elle considère comme un sujet de politique intérieure.

Sur l’Iran :

Aujourd’hui au cœur de l’actualité, la géographie fait de l’Iran un des principaux partenaires de l’Afghanistan, d’autant qu’il y existe une importante communauté chiite. Pour l’Iran, l’Afghanistan est la voie du commerce avec l’Inde et la Chine. Téhéran a donc intérêt à un Afghanistan stable. Mais dans un jeu diplomatique multipolaire, tant que les désaccords avec les Etats-Unis ne sont pas réglés, l’Iran a intérêt à ce que les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux soient englués dans une guerre sans fin. La relation américano-iranienne - question du nucléaire et conflit israélo-palestinien - est une des clés de la fin du conflit en Afghanistan. L’Iran est sans nul doute prêt à contribuer à la stabilisation de l’Afghanistan, mais dans le cadre d’une négociation diplomatique très large, sur la place qu’il souhaite occuper au Moyen-Orient.

Conclusion :

Le rapport de la mission est accompagné de 25 propositions qui visent à chaque fois à faire ressortir les logiques de paix par rapport aux logiques de guerre. Initialement, l’intervention en Afghanistan devait permettre de combattre le terrorisme, mais elle a crevé une bulle sociale au Pakistan et révélé des fractures nationalistes tant en Afghanistan qu’au Pakistan. La guerre de 2001 a amplifié une crise régionale qui frappe toute l’Asie du Sud. Or, avec l’Iran, cette région abrite 1,4 milliards d’hommes. Si l’on tient compte de ce contexte démographique, de toutes ces personnes auxquelles il faut apporter le développement et l’éducation, si l’on tient compte également du fait que l’usage de la violence n’a apporté aucun gain politique aux forces en présence, les logiques de paix retrouvent toute leur utilité. Les propositions de la mission n’ont d’autre objet que de les mettre en valeur.

   
   
         
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