Les Questions au gouvernement  
 

 

   

Intervention de Jean GLAVANY débat sur l’Afghanistan 16/12/2009

 
Monsieur le président, monsieur les ministres des affaires étrangères et de la défense, mes chers collègues, en montant, moi aussi, avec gravité à cette tribune, je ne peux m’empêcher de penser d’abord aux neuf expulsés de cette nuit. Je le ferai avec réserve, mais avec mon cœur. Vous me direz que cela n’a rien à voir avec le débat de cet après-midi. Pardonnez-moi : nous parlons de l’Afghanistan,... ...et il y a un ministre - il n’est pas au banc du Gouvernement aujourd’hui - qui s’est permis de dire que l’on pouvait expulser ces jeunes Afghans parce que la sécurité régnait à Kaboul. Pourquoi un président des États-Unis envoie-t-il 30 000 hommes supplémentaires parce qu’il n’arrive pas à faire face ? Et la sécurité régnerait à Kaboul ? Un attentat a fait, hier, de très nombreuses victimes au centre de Kaboul. Et la sécurité y régnerait ? Ce pays est en guerre. Je veux rendre hommage aux députés de la majorité UMP, comme Mme Hostalier, qui ont réclamé un moratoire sur l’exécution de cette décision. Je voudrais également rendre hommage aux initiatives de Sandrine Mazetier et du groupe socialiste, qui demande qu’une initiative parlementaire soit prise pour une protection temporaire de ces Afghans réfugiés chez nous, tenant compte du fait que ce pays est en guerre. Monsieur le ministre, ma deuxième pensée, à moi aussi, ira vers les soldats français qui sont en Afghanistan. Je le ferai avec le sens des responsabilités aussi, parce qu’ils y mènent un combat difficile, douloureux, dangereux. Je suis l’élu de Tarbes ; deux régiments stationnés dans cette ville ont servi ces derniers mois en Afghanistan et ont payé un lourd tribut à ces combats. Nous nous sommes rencontrés, monsieur le ministre, lors de cérémonies bien tristes. Je sais le prix que les soldats et leurs familles paient pour cet engagement, et le lien entre l’armée et la nation, qui est un lien essentiel en République, mérite que la responsabilité des élus à l’égard des militaires ne soit pas affaire de politique policitienne et de polémique. Ma troisième remarque sera pour dire que ce débat vient à la fois trop tard et trop tôt. Nous le réclamons depuis des mois. Nous n’avons pas parlé de l’Afghanistan depuis septembre 2008. Combien de choses ont changé là-bas entre-temps ? J’en dirai un mot tout à l’heure. Nous n’avons jamais tiré les leçons de ces changements considérables. Il vient trop tard aussi parce que le président Obama a changé sa stratégie sans que l’on ait, ici, l’occasion d’en débattre - j’y reviendrai aussi. Il vient trop tôt parce qu’il nous adresse une demande, et, si j’ai bien compris, on n’en parlera pas aujourd’hui. Enverrons-nous des troupes supplémentaires ? Le Gouvernement réfléchit. J’espère qu’un jour il saisira le Parlement des éléments de sa réponse. Une fois ces trois préalables énoncés, je veux moi aussi faire une remarque à l’occasion de ce débat sans vote - sans doute pour revaloriser les droits du Parlement - , un débat où nous échangerons gentiment entre nous et dont on ne tirera pas en responsabilité le sens de nos propos. Ainsi qu’Henri Emmanuelli le disait tout à l’heure, au fond, c’est un peu comme au Rotary, le champagne en moins. On débat gentiment, mais on ne s’engage pas. J’en viens à l’analyse concrète de la situation en Afghanistan. On peut employer le mot d’enlisement ou d’impasse. Moi, je voudrais employer le mot d’échec. Certes, il y a eu un succès, monsieur le ministre, vous l’avez rappelé, de la coalition internationale qui a renversé le régime taliban, ce régime barbare. Ce n’était pas une mince affaire et ce n’est pas un mince succès. Nous devons le saluer. Mais cela date de 2001. Depuis 2001, c’est l’enlisement, l’impasse, l’échec militaire, quoi qu’on en dise, puisque le président Obama considère qu’il faut changer de stratégie, parce que la sécurité n’est pas assurée en Afghanistan. L’échec politique avec une élection présidentielle faite de fraudes massives et d’absence de deuxième tour. L’échec moral avec cette corruption qui se répand tous azimuts et cette culture de pavot que l’on n’arrive pas à éradiquer. L’échec de l’aide civile, car nous savons tous que la communauté internationale fait des efforts considérables, par milliards de dollars ou d’euros, pour l’Afghanistan, sans que la population afghane en voie la trace -en tout cas elle en voit bien peu de traces. Un échec dont nous devons tirer les conséquences. Je tire au moins deux leçons à l’issue de ce constat. La première pour dire les choses aussi clairement que possible : tous ceux qui ont étudié la situation en Afghanistan, qui s’y sont rendus, qui ont parlé avec les militaires, avec les responsables politiques, savent que la solution ne sera pas militaire. Ils savent que l’on ne gagnera pas la guerre en Afghanistan, que l’on peut contribuer militairement à une solution, mais qu’elle ne sera pas militaire. La solution, comme toujours, sera politique et diplomatique. La deuxième leçon, c’est que, comme nos troupes ne sont pas des troupes d’occupation - on le répète à l’envi -, il faut se fixer un terme et dire que, puisqu’elles n’ont pas vocation à rester, elles ont vocation à rentrer, et le plus vite possible sera le mieux. Il doit être dit ici que nos troupes doivent rentrer le plus vite possible, si elles n’ont pas vocation à rester éternellement. À partir de là, qui définit les missions de nos troupes ? J’affirme clairement que les décisions, à notre sens, se prennent un peu trop outre-Atlantique. Je ferai trois observations. D’abord, il y a eu beaucoup de déclarations plutôt hasardeuses de notre président, qui disait un jour - pendant la campagne des présidentielles, il n’était pas encore Président de la République - : « Nos troupes n’ont pas vocation à rester », mais elles y restent. Ou qui disait, il y a six mois : « Nous n’enverrons pas un soldat de plus en Afghanistan ! » On verra ! Je voudrais surtout parler d’un camouflet, car la révision stratégique à laquelle nous venons d’assister, décidée unilatéralement par le président Obama, a-t-elle associé les responsables politiques et militaires français ? Vous le savez tous : non ! Alors que nous sommes rentrés, dans le commandement intégré de l’OTAN, il y a quelques mois, en disant : « Maintenant, nous aurons des garanties, nous serons associés aux révisions stratégiques. » D’où ce paradoxe étonnant : alors que de Gaulle avait quitté le commandement intégré en 1966 parce qu’il n’avait pas pu obtenir, en huit ans, la moindre des garanties et qu’il prenait garde à ne pas être entraîné dans l’enlisement au Vietnam, aujourd’hui, c’est le président Sarkozy - il a sûrement obtenu, en quelques mois, toutes les garanties, mais nous n’en voyons pas la trace - qui prend le risque d’un enlisement en Afghanistan. Au-delà de ce camouflet, il y a surtout des réactions à contre-temps. Car on peut dire ce que l’on veut du président Obama, ce que je sais, ce que nous pensons, c’est que le président Bush allait droit dans le mur. Et que le président Obama se pose aujourd’hui des questions, impulse des décisions stratégiques en cherchant une porte de sortie, une solution. De ce point de vue, c’est un progrès notoire. Or nous avons le sentiment que le Gouvernement de la France et le Président de la République, qui étaient infiniment plus suivistes pour le président Bush, sont infiniment plus critiques pour le président Obama, alors que c’est probablement le contraire qu’il aurait fallu faire. J’en viens à mon avant-dernier point sur les propositions que nous faisons. Nous partons d’un principe qui est le renversement du vieux précepte : « Si tu veux la paix, prépares la guerre. » Nous disons, nous : « Puisque nous faisons la guerre, préparons la paix. » Nous pensons, nous socialistes, qu’il n’est pas trop tôt pour parler de paix en Afghanistan et qu’il importe au contraire de renverser la tendance pour parler de la paix et créer les conditions de la paix. Nous proposons et demandons qu’une feuille de route nouvelle soit donnée à la coalition, une feuille de route dont on connaît les termes. Ils font l’objet d’un consensus : d’abord l’afghanisation des forces de sécurité - ce qui , accordez-le, monsieur le ministre, est plus facile pour les militaires que pour la police -, la lutte contre la corruption - le président Karzaï ne donne pas en ce moment de signes extrêmement favorables -, la lutte contre la drogue et la culture de pavot, la lutte pour l’éducation, notamment des jeunes filles, le développement rural. Des choses simples sur lesquelles nous demandons que soient fixés des objectifs chiffrés, précis, et que l’on fasse le point de la progression vers ceux-ci. C’est cela, la feuille de route ; c’est se fixer des objectifs et avancer concrètement sur la voie de ces objectifs. C’est la proposition de cette feuille de route pour la paix que nous faisons. Mais, monsieur le ministre, je veux aller plus loin. Si nous voulons que cette feuille de route nouvelle ait un sens, il faut la faire valider par l’ONU. Il faut un nouveau mandat de l’ONU, car le mandat actuel date de 2001. Et la situation a complètement changé. Nous devons donc aboutir à un nouveau mandat, un mandat de l’ONU qui prenne compte de ces réalités nouvelles et de ces impératifs nouveaux. J’en viens à ma conclusion. Messieurs les ministres, il faudra revenir en parler devant le Parlement. Car si vous voulez que le lien entre l’armée et la nation, si essentiel en République, perdure, se renforce, il faut que les parlementaires, les élus de la République, soient associés, soient consultés et puissent voter sur les engagements que vous prenez sur la scène internationale. Cela me paraît essentiel et je regrette qu’aujourd’hui cela n’ait pas pu se faire.
   
   
         
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