Mon agenda  
 

 

   
Exposé de Jean Glavany devant les étudiants de l’IUT de Sarcelles

La création de l’Euro et déroulement particulier du dialogue

 

1- Je voudrais commencer cet exposé par un premier point d’histoire.

On comprend toujours mieux notre présent quand on l’éclaire par notre passé parce qu’il en est le fruit naturel. C’est vrai en général. C’est vrai aussi en économie.

L’idée de créer une monnaie unique à l’ensemble des membres de la Communauté économique européenne (CEE) est née dans les années 1960. Le projet de monnaie unique n’était pas prévu dans les traités européens. Les Six participaient alors au système de Bretton Woods, système monétaire international qui fixait les cours de change des monnaies. J’insiste sur ce point : les 6 membres fondateurs.

C’est au sommet de La Haye du 2 décembre 1969, lque es six Etats membres de la CEE envisagent pour la première fois la réalisation d’une Union économique et monétaire, sur la base du plan Barre qui a pour but de faire face aux déséquilibres entre les devises nationales des Six, et d’écarter l’épouvantail d’une crise monétaire internationale par des mécanismes venant en aide aux monnaies les plus faibles et par la concertation des politiques économiques des Etats membres.

Le "plan Barre" tient son nom de son initiateur, le Français Raymond Barre, vice-président de la Commission européenne responsable des Affaires économiques et financières de 1967 à 1973

2. Pourquoi ce projet d’Union Economique et Monétaire ?

Les avantages de la monnaie unique apparaissent nombreux :

• D’abord et avant tout la disparition des fluctuations de cours de change L’euro a induit la disparition des fluctuations de cours de change, et donc des risques de change au sein de la zone euro. Auparavant, ces coûts liés aux cours et aux risques de change constituaient des obstacles aux échanges commerciaux et à la concurrence au niveau transfrontalier. Il fallait voir le choc que devait subir nos économies nationales quand elles étaient soumises à ce qu’on appelait des « dévaluations compétitives ».

• La garantie de faibles taux d’intérêt La stabilité de la monnaie unique devait permettre la mise en place d’un environnement de stabilité des prix dans la zone euro, exerçant un effet de modération sur la formation des prix et des salaires. Il en ressort que les anticipations d’inflation et les primes de risque liées à l’inflation sont demeurées limitées et stables, ce qui s’est traduit par de faibles taux d’intérêt de marché.

• La transparence des prix Le fait de pouvoir effectuer des paiements avec la même monnaie dans plusieurs pays de l’UE permet une transparence des prix qui est bénéfique pour les consommateurs. Il en résulte une concurrence accrue entre les Etats membres, ce qui favorise les échanges intra-communautaires et soutient la croissance.

• L’élimination des coûts de transaction L’introduction de la monnaie unique a de fait éliminé les opérations de change et ainsi permis des économies. Désormais, au sein de la zone euro, il n’existe plus de frais liés à l’achat et à la vente de devises sur les marchés des changes.

• Et puis, il y a un dernier avantage : la conscience citoyenne d’appartenir à une communauté de vie, de voyager au sein de l’Europe sans changer de monnaie. C’est essentiel

3. Reprenons le fil de l’histoire

Les dirigeants européens en 1969 confient ainsi à Pierre Werner - alors chef du gouvernement et ministre des Finances luxembourgeois - l’élaboration, sur la base du plan Barre, d’un projet détaillé exposant les mesures nécessaires à la réalisation de l’UEM. Le 30 octobre 1970 la Commission européenne rédige une communication adressée au Conseil dans laquelle elle se dit favorable au rapport Werner, "concernant la réalisation par étapes de l’union économique et monétaire de la Communauté. A la suite de l’écroulement du système de Bretton Woods en 1971 le processus ne peut aboutir, du fait de l’instabilité des cours de change. DE fait de 1969 à la naissance de l’euro, la route de l’union monétaire va être longue, très longue, une première initiative est prise à Bâle (Suisse) le 10 avril 1972 avec la création du Serpent monétaire européen. Les accords prévoyent alors un engagement de la part des gouverneurs des banques centrales pour réduire la marge de fluctuation intracommunautaire à un écart maximal de 2,25 % autour de la parité fixe.

Mais les 7 et 8 avril 1978, à l’occasion du Conseil européen de Copenhague,Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt relancent le projet de la Haye, qui se concrétise dans un premier temps avec la création du Système monétaire européen (SME), qui voit le jour le 13 mars 1979. Le SME reprend le principe de réduction de la marge de fluctuation propre au serpent monétaire et va plus loin en proposant un mécanisme de taux de change fixes mais ajustables entre les monnaies des pays de la CEE, mais désormais ces pays sont au nombre de neuf depuis l’entrée de la Grande Bretagne, de l’Irlande et du Danemark en 1973 . J’insiste toujours sur ce point : 6 pays au début du processus, 9 en 1973. Nous y reviendrons. Le SME permet progressivement la création d’une zone de stabilité monétaire. Principale innovation par rapport au serpent,la création de l’Ecu (European Currency Unit), une unité de compte regroupant les valeurs des monnaies qui la composent.

Mais il faudra attendre une petite dizaine d’années pour que la monnaie unique reprenne sa marche en avant.

L’adoption de l’Acte unique européen en 1986 donne un nouvel élan au projet de création d’une monnaie unique, en réaffirmant la nécessité de réaliser une UEM et en fixant un calendrier pour la mise en place de celle-ci. Et il faudra encore une bonne dizaine d’années pour aboutir à l’Euro

En 1988, le Conseil européen confirme l’objectif de créer une Union Economique et Monétaire.

Le rapport Delors, présenté à la suite de ces travaux, recommande la réalisation de l’UEM en trois étapes. • La première phase débute le 1er janvier 1990. Elle prévoit la levée de tous les obstacles internes à la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux au sein de l’Union européenne. • La deuxième phase commence le 1er janvier 1994 avec la création de l’Institut monétaire européen (IME), précurseur de la Banque centrale européenne (BCE). Instituée en juin 1998, la BCE œuvre pendant six mois pour concrétiser les travaux préparatoires menés par l’IME. Cette deuxième phase est consacrée aux préparatifs techniques en vue de la création de la monnaie unique, à la mise en place d’une discipline budgétaire et au renforcement de la convergence entre les politiques économiques et monétaires des Etats membres de l’UE. • La troisième phase, lancée le 1er janvier 1999, démarre par la fixation irrévocable des taux de change des monnaies des onze Etats membres participants. Elle prévoit ensuite l’introduction de l’euro comme monnaie unique Le rapport Delors est à la base des négociations qui ont conduit au Traité de Maastricht instituant l’Union européenne, signé le 7 février 1992.

Ce traité amende les traités fondateurs de la Communauté européenne en ajoutant un chapitre relatif à la politique économique et monétaire.

L’UEM repose sur deux volets : la coordination des politiques économiques et budgétaires des Etats Membres afin de réaliser leurs objectifs communs, notamment dans les domaines de la croissance et de l’emploi, et la création d’une monnaie commune. En 1995, à l’initiative du chancelier allemand Helmut Kohl, les quinze Etats membres de l’Union européenne s’accordent sur son nom : l’euro. Ils fixent alors les conditions, le calendrier et les modalités de passage à la monnaie unique.

En mai 1998, onze des pays souhaitant participer à la monnaie unique sont retenus au regard des critères de convergence fixés dans le Traité de Maastricht.

Ces critères sont les suivants : • Le rapport entre déficit public et produit intérieur brut doit être inférieur à 3 % ; • Le rapport entre dette publique et PIB doit être inférieur à 60 % ; • Le taux d’inflation ne dépasse pas de plus de 1,5 point celui des 3 pays ayant la plus faible inflation ; • Le taux d’intérêt à long terme ne dépasse pas de plus de 2 points celui des 3 pays les plus stables en matière de prix ; • Les marges de fluctuation du SME doivent être respectées.

Le 31 décembre 1998, le Président de la Commission européenne de l’époque annonce le passage à l’euro pour onze Etats membres de l’Union européenne, qui doit survenir le lendemain, 1er janvier 1999.

Le 1er janvier 1999, l’euro devient la monnaie de onze pays (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays Bas, Portugal) auxquels s’ajoutent la Grèce en 2001, la Slovénie en 2007, Chypre et Malte en 2008 et la Slovaquie en 2009.

Désormais, parmi les 27, seuls la Grande-Bretagne, le Danemark, la Suède, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la République tchèque, la Pologne, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie ne font pas partie de la zone euro. Cette dernière devrait cependant adopter la monnaie unique dès le 1er janvier 2011.

Remarque sur l’Europe à 2 vitesses : certains pays ne sont ni dans l’Euro du Schengen, ni

4 - Pour finir, je voudrais tenter une explication sur la lenteur de ce processus.

Bien sûr, je l’ai dit, il y a le frein permanent des pays qui sont systématiquement contre toute idée d’intégration supplémentaire de l’Union. C’est la cas de la Grande Bretagne. Mais autre ce frein permanent, il y avait un autre frein, propre celui-là au domaine particulier de la monnaie : le frein allemand. Pourquoi ? Eh bien je vais essayer de vous le dire à travers le dialogue franco-allemand et, en particulier, le dialogue entre le Chancelier allemand Kohl et le Président Mitterrand tel que je l’ai connu dans les années 80. François Mitterrand, comme Jacques Delors, européens convaincus l’un et l’autre, eut l’intuition qu’il fallait relancer énergiquement le processus de construction européenne à travers l’UEM. Mais l’un comme l’autre étaient conscients de la résistance allemande à cette idée. D’où ce dialogue que j’invente bien sûr, dans sa forme, mais qui est très juste, je le crois dans son contenu historique. F.M : « Helmut, il faut faire la monnaie unique. » H.K : « Nein, François ce n’est pas possible » F.M : « Mais pourquoi donc Helmut ? Tu vois bien que l’Union est en panne, il faut la relancer ! A ce stade, seul le projet d’UEM peut la faire ! C’est l’heure. » H.K : « Je le sais, François, mais ça n’est pas possible ! Tu sais bien que les allemands sont attachés, très attachés à leur monnaie, le Mark c’est une monnaie stable et forte. Très stable et très forte. C’est un instrument de la puissance allemande. Et si on fait une monnaie unique, les allemands ont très peur que celle-ci se fasse aux détriments de notre puissance et de notre souveraineté. » F.M : « Je sais tout cela, Helmut. Mais nous devons surmonter ce blocage. Il en a va de notre responsabilité devant l’histoire. Je te demande vraiment de bien y réfléchir. »... H.K : « Je veux bien, François, parce que tu me le demandes et que je te respecte. Mais ne rêve pas : les résistances allemandes sont telles que je ne vois pas comment les surmonter ». F.M : « Je sais comment, Helmut ! Il faut être visionnaire, dépasser le seul intérêt particulier de chacun de nos pays et penser à l’intéret général européen. Je sais, parce que je te connais, que tu en es capable ». Le dialogue va durer des mois et des mois et F. Mitterrand va faire preuve d’une obstination et d’une insistance incroyable. Il faut dire que les deux hommes s’apprécient et se respectent. Ils sont, comme on dit, « sur la même longueur d’onde »... Enfin, un jour, Helmut Kohl cède : HK : « D’accord, François, on va faire la monnaie unique » F.M : « Formidable, Helmut, je te remercie et te félicite de ton sens des responsabilités devant l’histoire de l’Europe. Nous allons pouvoir écrire ensemble cette belle page de la construction européenne ». H.K : « Merci François, mais je ne t’ai pas encore tout dit, j’y mets une condition ». F.M (inquiet) : « Quelle condition ? » H.K : « Si on fait la monnaie unique, je veux que la Banque européenne qui la mettra en oeuvre et la gérera soit totalement indépendante des pouvoirs politiques européens. » F.M : « Je m’attendais à cette condition , Helmut car je connais l’histoire et les traces qu’elle a laissées dans ton pays. » H.K : « Eh oui, François. Les allemands n’ont pas la mémoire courte ! Ils se souviennent des années 30 et de la manière dont Hitler a financé son économie de guerre, en faisant marcher la planche à billets. Depuis, nous avons une règle constitutionnelle protégeant l’indépendance de notre banque centrale. Nous ne pouvons pas y déroger » F.M : « D’accord, Helmut. Puisque tu fais une concession, l’abandon du Mark, je ferai celle-ci, l’indépendance de la Banque Centrale Européenne. C’est une concession pour moi aussi, moins importante que la tienne, j’en conviens. Mais tu sais bien qu’il y a, dans la culture politique des partis de la social-démocratie européenne, et dans le mien en particulier, une grande, très grande réticence à l’idée de l’indépendance des banques centrales. Pour eux, ce sont des instruments qui n’ont pas de légitimité démocratique qui doivent être au service des gouvernements qui, eux, bénéficient de cette légitimité. Mais, bon, je l’accepte car c’est comme cela que se font les bons compromis. »

Voilà, comme je vous l’ai dit j’ai inventé ce dialogue. Mais il a eu lieu à plusieurs reprises, pendant des mois, autour de ces arguments. Pourquoi vous ai-je raconté l’histoire de ce dialogue ? Parce que l’histoire se fait comme cela : à coups de compromis, et de volontarisme politique, en tenant compte de l’histoire... Et que ce compromis historique-là, l’abandon du Mark contre l’indépendance de la BCE - est au coeur de la création de l’euro. Beaucoup des débats actuels semblent l’oublier.

   
   
         
© 2005 Jean Glavany
Site réalisé avec SPIP