La Laïcité, mon engagement  
 

 

   

« Intervention de Jean Glavany dans le débat sur la neutralité religieuse »

 
Monsieur le président, mes chers collègues, vous excuserez le caractère cursif de mon intervention : je m’en tiendrai à l’essentiel. Deux remarques préalables. D’abord, monsieur le rapporteur, nous ne refusons ni de débattre - nous participons au débat qui, je dois le dire, est plutôt de bonne qualité - ni de légiférer. Nous ne voulons simplement pas de cette proposition de loi en particulier, j’expliquerai pourquoi dans un instant. Comment pourrions-nous du reste refuser de légiférer en ce domaine alors que le Président de la République lui-même nous a demandé de le faire ? Vous savez que nous sommes de fidèles et loyaux soldats. Ensuite, je vous remercie, monsieur Ciotti, d’avoir eu la délicatesse de ne faire figurer le mot de laïcité ni dans le corps de votre proposition de loi ni dans son titre, alors qu’il y a quelques années, vous n’aviez pas hésité à le faire dans d’autres textes, vous livrant à un raccourci très réducteur de cette belle valeur. Du coup, vous avez été obligé d’inventer un nouveau concept, la neutralité religieuse, dont on comprend bien le sens mais qui n’a jamais eu de traduction juridique dans le droit français et qui aboutirait à des choses assez curieuses. J’aimerais à présent vous exposer les quatre raisons qui nous amènent à refuser votre proposition de loi. La première est d’ordre juridique et législatif. Vous avez sûrement de très bons juristes à l’UMP et au conseil général des Alpes-Maritimes, mais moi j’ai la prétention de penser que l’adoption de votre proposition de loi ne changerait rien. Cela ne changerait rien en particulier à la jurisprudence de la Cour de cassation. M. le ministre l’a dit avec beaucoup de précision et de pertinence. J’ai la conviction profonde que ce serait légiférer pour rien, ce qui n’est pas exactement une bonne manière de faire. La deuxième raison tient à la méthode. Comme l’ont souligné le ministre et Colette Capdvielle, le président de la République, mettant en œuvre la promesse d’un autre président, faite six ans auparavant, a créé l’Observatoire de la laïcité, auquel participent des parlementaires de droite et des parlementaires de gauche. Chaque semaine, membres de la majorité et de l’opposition travaillent sur le sujet afin de faire des propositions, y compris sous forme législative, en recherchant un consensus. Un consensus, monsieur Ciotti. Ce n’est pas : « Voilà ce que je vous propose, alignez-vous derrière moi ! » Ce n’est pas : « Je suis M. Ciotti, de l’UMP, et il faut faire ce que je dis ! » Non, le consensus, c’est se mettre autour d’une table et travailler ensemble, monsieur Ciotti. Si vous cherchez vraiment le consensus républicain, venez donc travailler avec nous au lieu de brandir cette proposition de loi. Tout cela me rappelle - excusez-moi si ce rapprochement vous vexe - la commission que M. Copé voulait créer il y a quelques années au sujet du voile intégral : « Créons une commission mais, d’ores et déjà, je vous le dis, elle devra conclure à l’interdiction ». (Rires sur plusieurs bancs.) Membres de l’opposition d’alors, nous avions été gênés, heurtés, choqués même ! Le consensus, si c’est ce que vous voulez, et il le faut, ce n’est pas de cette manière que vous y parviendrez. Attendons donc les conclusions des travaux de cet observatoire. La troisième raison tient à votre logique de la législation par à-coups : un fait, une décision de justice, une émotion, une loi. Moi, je suis un parlementaire plus ancien que vous, même si j’ai davantage de cheveux... J’en ai marre, je le dis avec vulgarité, dont vous m’excuserez j’en ai marre de cette manière de légiférer par à-coups, sans vue globale et sans distance par rapport aux faits. Ce n’est pas une bonne manière de faire, je vous le dis. La quatrième et dernière raison tient à votre conception de la laïcité, une conception singulièrement rabougrie et réductrice puisqu’elle se résume à des interdits. Reprenons la liste de vos lois en ce domaine : interdiction des signes religieux dans les établissements scolaires - loi que j’ai votée - interdiction du port du voile intégral dans l’espace public - je me suis abstenu, je vous ai expliqué pourquoi - interdiction des signes religieux dans l’entreprise... L’interdit, toujours l’interdit ! Qui plus est, c’est un interdit à géométrie variable, car il vise toujours les mêmes. Je ne suis pas un tenant de la théorie de la stigmatisation mais j’aimerais appeler votre attention sur le cas des prières de rue. Vous avez eu raison de les combattre lorsque vous étiez au pouvoir, et mon collègue Daniel Vaillant a uni ses efforts à ceux du gouvernement que vous souteniez afin de les éliminer dans le XVIIIe arrondissement, avec succès. Je note toutefois, à la suite de Sergio Coronado, que les prières de rue qui ont eu lieu devant l’Assemblée pendant des semaines ne vous ont pas gênés du tout ! Très juste ! Pourtant, il s’agissait de prières dans l’espace public, tout aussi choquantes que les autres. Je vais vous dire les choses telles que je les ressens, monsieur Ciotti : la laïcité ne peut se résumer à des interdits. Je lance un appel, auquel j’essaierai de trouver une traduction au sein de l’Observatoire de la laïcité : et si, dans notre manière de légiférer, nous trouvions des moyens de rendre la laïcité aimable, selon une belle expression de l’historien Alain Bergounioux ? Pas seulement des interdits : une laïcité aimable. Ce n’est pas exactement ce à quoi tend votre texte. Je finis en revenant à l’histoire de la laïcité, comme nous y a invités M. le ministre en citant Aristide Briand. Monsieur Ciotti, la laïcité est née d’un débat à la fin du XIXe siècle qui a opposé non pas la droite à la gauche - la droite a toujours été contre - mais divers partis au sein de la gauche. Le petit père Combes, du côté des radicaux, voulait régler un compte aux religions, en particulier à la religion catholique. Briand, avec l’appui de Jaurès, voulait, lui, faire de la loi sur la laïcité une loi de protection d’une grande liberté, la liberté de conscience. C’étaient des libéraux, au sens politique du terme. Jaurès et Briand l’ont emporté sur le petit père Combes. La laïcité n’est en rien ce combat contre les religions. Sans vouloir vous vexer, monsieur Ciotti, je dirai que vous êtes un peu trop le petit père Combes du XXIe siècle. Nous, nous voulons continuer à rester fidèles à Jaurès et à Briand.
   
   
         
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